Départ J-50 : des mots

"Encore un livre sur Jérusalem!", gémit le journaliste correspondant dans la Ville Sainte, lui qui croule sous les publications consacrées à la cité et à la région en général.
Puis il ouvre Jérusalem de Justine Augier et le dévore d'une traite, lors d'un vol Paris-Tel Aviv, à moins que ça ne soit dans l'autre sens. L"ouvrage, qui porte la mention "Portrait" en sous-titre, est un récit choral où se croisent des voix israéliennes et palestiniennes. Des personnages qui racontent une ville qui ne peut s'écrire qu'au pluriel.

À l'heure où se termine mon séjour ici, une évidence me frappe à la lecture de Jérusalem de Justine Augier : ce qui me reliera à cette ville lorsque je la quitterai définitivement après trois années intenses, ce sont les mots. Ceux-là même qui me rapprochaient d'elle lorsqu'elle n'était qu'un rêve lointain. 

L'occasion de passer en revue quelques lectures qui m'ont accompagné ici :

- les incontournables Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle. Indispensable manuel de survie de l'expatrié qui débarque.
 
- "C'est quoi un Israélien?"... toute l'oeuvre de l'écrivain Amos Oz pourrait tenir dans cette question. Une Histoire d'Amour et de Ténèbres est à mon sens le plus beau roman de cet auteur israélien, né à Jérusalem. On y découvre la ville avant, pendant et après la proclamation de l'Indépendance d'Israël en 1948. La ville et les soubresauts politiques de l'époque sont racontés à hauteur d'enfant (irrésistible récit d'un meeting de Menachem Begin, chef de la droite israélienne). Ce livre sombre et tourmenté fait écho à un texte court - et plus ancien - d'Amos Oz : Un Étranger dans une ville étrangère qui figure dans le recueil Les deux morts de ma grand-mère. Il s'agit des souvenirs de l'auteur, qui a grandi dans la Jérusalem divisée, nourri de récits dans lesquels rôdait un terrible soldat arabe... En 1967, au lendemain de la Guerre des Six-Jours, l'auteur porte l'uniforme de l'armée israélienne lorsqu'il visite Jérusalem-Est fraîchement conquise. Et dans le regard des habitants arabes il comprend alors qu'il est devenu l'inquiétant soldat de ses cauchemars d'enfant. Curieusement, ce texte figure sur le site internet du Ministère israélien des Affaires Etrangères.
 
- Récit-miroir de l'enfance jérusalémite d'Amos Oz, l'autobiographie de l'intellectuel palestinien Sari Nusseibeh : Il était un pays (une vie en Palestine). Depuis des siècles, l'histoire de la famille Nusseibeh se confond avec celle de Jérusalem : les Nusseibeh sont l'une des deux familles musulmanes dépositaires des clés du Saint-Sépulcre car les différentes églises chrétiennes ne parviennent pas à s'entendre sur la gestion du lieu où elles situent la crucifixion et la résurrection du Christ.
 
- Jérusalem 1900 de l'historien français Vincent Lemire est une captivante plongée dans la Jérusalem ottomane. On y découvre que les quartiers de la Vieille Ville (chrétien, musulman, juif, arménien) sont en fait un découpage artificiel datant du 19ème siècle et qui, à l'époque, ne correspondait pas à la réalité des populations mélangées de la cité. On y apprend aussi que Jérusalem "fabrique" ses lieux saints, où les différentes confessions inscrivent leur présence dans la topographie de la ville. Vincent Lemire est aussi l'auteur de La Soif de Jérusalem, une histoire de l'eau dans la Ville Sainte.
 
- Ramallah Dream du journaliste français Benjamin Barthe est la photographie crue et fouillée de l'échec d'un Processus de Paix lancé il y a presque 20 ans avec les Accords d'Oslo. L'enquête dresse un bilan sévère des années de négociations sous occupation et des efforts internationaux de "state-building" d'un état palestinien de plus en plus hypothétique. Au delà du constat, Ramallah Dream débouche sur des questions vertigineuses : quelle alternative à la solution de paix à deux états? Et quel avenir pour le mouvement national palestinien?
 
- Il n'y aura pas d'Etat palestinien de Zyad Clot est un témoignage "de l'intérieur" : le récit de quelques mois de discussions israélo-palestiniennes (2007-2008) par un jeune juriste qui travaillait alors au sein de l'équipe des négociateurs palestiniens. 
 
- Merci à Benjamin Barthe qui m'a fait découvrir Rajah Shehadeh et son très beau Strangers in the house. Itinéraire d'un juriste et défenseur des Droits de l'Homme palestinien, Dans Strangers in the house Rajah Shehadeh raconte la Nakba de 1948, la Cisjordanie administrée par le Royaume de Jordanie puis occupée par Israël après 1967. L'apparition des colonies sur les collines autour de Ramallah et la mobilisation d'une poignée de Palestiniens pour tenter de lutter contre l'occupation par la seule arme du Droit.
 
- Histoire de Gaza de Jean-Pierre Filiu. La Bande de Gaza est une étroite bande de sable, théâtre d'innombrables épisodes du conflit israélo-palestinien. Un seul exemple : c'est en 1987, à Gaza, qu'éclate la Première Intifada palestinienne et que la branche locale des Frères Musulmans décide de se lancer dans la lutte armée en prenant le nom de Hamas. De l'Antiquité à nos jours, Jean-Pierre Filiu retrace avec minutie l'histoire de ce petit territoire indissociable du mouvement national palestinien.
 
- Jours tranquilles à Gaza de Karim Lebhour. Très belle série de chroniques sur Gaza dans les années 2006-2010. Un moment clé de l'histoire palestinienne puisque c'est à cette époque que le Hamas prend le contrôle du territoire. Depuis, les Palestiniens restent divisés et la réconciliation, souvent annoncée, semble de plus en plus illusoire.
 
Le collaborateur de Bethléem et Une tombe à Gaza de Matt Rees. Des polars en Palestine par un ancien correspondant de presse.
 
-  Les quatre tomes de La Question de Palestine de l'historien français Henry Laurens. Je recommande aussi le podcast de ses cours au Collège de France (qui permettent de se plonger dans l'histoire de la région en prenant le métro ou en pédalant sur un Vélib')
 
- Au nom du Temple de Charles Enderlin. Ouvrage extrêmement fouillé sur les racines et les ressorts du sionisme-religieux. L'une des nombreuses qualités du livre est de se plonger dans le corpus idéologique de la droite nationaliste-religieuse israélienne et d'en faire émerger les débats internes.
 
- Gaza 1956 de Joe Sacco. Monument de la BD journalistique.
 
- Impossible de comprendre la Palestine et ses habitants sans la poésie de Mahmoud Darwich, l'homme que le Président Mahmoud Abbas cite volontiers dans ses discours. A lire aussi dans Jours tranquilles à Ramallah de Gilles Kraemer, le récit d'une lecture donnée par le poète peut avant son décès à Ramallah : Mahmoud (l'artiste) lit ses textes sur scène et soudain Mahmoud (le Président) et sa suite entrent dans la salle...
 
- En vrac, citons encore les oeuvres d'Etgar Keret, David Grossman, AB Yehoshua et de l'écrivain arabe israélien Sayed Kashua...
 
- J'allais oublier De quoi la Palestine est-elle le nom? d'Alain Gresh, Vie de Jésus d'Ernest Renan, Qui sont les colons de Michaël Blum et Claire Snegarof et Israël, l'autre conflit. Laïcs contre religieux de Marius Schattner...
 
- Enfin, Israël et la Palestine forment la première étape du voyage que Gilles Kepel narre dans Passion arabe et qui le mène dans une région bouleversée par les révolutions arabes.

Bonne lecture!

PS : je n'écrirai rien à mon retour.

1 Comments

je vien de lire DEPART et j'ai trouver dans votre article tout se que je chercher.mètan rendu en voyage en terre sainte,et vu de mes yeux,la grande dificulter de vivre a jerusalem si l'on net pas juifs.je suis une mamie catholique,qui toute ma vie me suis interresai a cette partit du moyen orient.et j'avou que je suis contente de tous les titres que j'ai decouvert merci.je vous demande d'escuser mes fautes ,,,,,merci

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